Des centaines de ramasseurs se déplacent sur une plate-forme d’ordures surélevée, ramassant des morceaux de plastique avec des crochets en fer, au milieu du bétail et de centaines d’aigrettes.
L’odeur est putride au sommet de ce que les ramasseurs appellent le « Yémen », une montagne d’ordures multicolores ressemblant à un volcan, dans l’énorme décharge de Mbeubeuss, dans la banlieue de Dakar. Les ramasseurs s’élancent vers les nouveaux monticules d’ordures tandis que les camions-bennes déversent les déchets sur la plate-forme qui s’élève au-dessus d’une banlieue de la métropole ouest-africaine.
« Tout le monde en profite », déclare Laye Niaye, un agent de sécurité, en regardant des hommes, des femmes et des enfants fouiller dans les ordures.
Dakar, une métropole de plus de trois millions d’habitants, génère des centaines de milliers de tonnes d’ordures chaque année. La quasi-totalité de ces déchets finit à Mbeubeuss, une décharge située à environ 30 kilomètres (18 miles) du centre ville et qui a la réputation d’être un désastre environnemental. Les ramasseurs d’ordures, par exemple, mettent le feu aux ordures afin de trouver des métaux précieux, libérant ainsi des odeurs toxiques dans les quartiers résidentiels voisins. La décharge est également si grande – estimée à 115 hectares – qu’elle est impossible à gérer, avec de nombreux établissements informels sur le terrain.
Après des décennies de gestion désordonnée, le gouvernement sénégalais a l’intention de convertir la décharge à ciel ouvert en une installation de tri des déchets dans les années à venir. Cependant, cette décision met en péril l’économie locale.
Environ 2 000 ramasseurs tolèrent la puanteur et les polluants pour gagner de l’argent en récupérant le plastique, le fer et l’aluminium dans les ordures. Ils vendent les produits recyclables aux grossistes, qui les revendent aux entreprises.
« Il faut être un homme dur : solide, audacieux et résolu », dit Mouhamadou Wade, un quinquagénaire nerveux qui travaille sur le site depuis 30 ans. Pourtant, comme beaucoup de ses pairs, il s’inquiète. « Le centre d’ordures n’est pas propice aux cueilleurs », ajoute Wade.
Les perdants sont toujours les perdants
La collecte des déchets est dangereuse, sale et laborieuse. Ceux qui y parviennent, en revanche, peuvent être fortement rémunérés. Selon une enquête réalisée en 2018 par Wiego, une ONG axée sur le travail informel des femmes, un quart des ramasseuses de Mbeubeuss gagnent plus de 100 000 francs CFA (152 euros, 180 dollars) chaque mois. Un petit pourcentage gagne plus du double de cette somme, mais la majorité gagne beaucoup moins. Selon la Banque mondiale, près de 40 % des Sénégalais vivent avec moins de 1,70 euro par jour.
Souleiman Diallo, 40 ans, place des balles de plastique à l’arrière du véhicule d’un grossiste. « C’est vraiment difficile », ajoute-t-il, précisant qu’il est sur la décharge car « aucun emploi » n’est disponible ailleurs.
Selon Pape Ndiaye, porte-parole de l’organisation des cueilleurs, il est devenu plus difficile de gagner raisonnablement sa vie en raison de la forte concurrence et de la stagnation des prix de gros.
« C’est l’intermédiaire qui nous porte préjudice », explique cet homme de 66 ans, allongé dans une tente de fortune entourée de bouteilles en plastique. Malgré le fait que les ramasseurs rendent un service environnemental important, il affirme qu’ils sont « toujours perdants ».
Les incendies et la fumée sont les principales préoccupations d’Abdou Dieng, qui supervise Mbeubeuss pour l’organisation sénégalaise de gestion des déchets UCG. Il s’énerve lorsqu’il constate que de la fumée s’élève d’une plate-forme fraîchement scellée avec du gravier et du sable, conséquence d’un feu allumé par un ramasseur pour débusquer les trésors.
« Une fois que j’aurai mis la main sur lui, je lui apporterai beaucoup de problèmes », promet Dieng en arpentant le tas en ébullition. Le jeune fonctionnaire a été engagé l’an dernier pour diminuer l’impact environnemental de la décharge. « Les gens se révoltaient », ajoute-t-il, en faisant référence aux odeurs de plastique qui flottaient dans les quartiers de la ville.
M. Dieng a réduit le nombre d’incendies en limitant les décharges à des plateformes contrôlées et en pénalisant les contrevenants.
Selon Maguette Diop de l’ONG Wiego, Dieng a rénové la décharge. Il affirme que moins de personnes tombent malades à cause des émissions. Quoi qu’il en soit, Mbeubeuss sera démolie d’ici 2025 pour faire place à l’installation de tri des déchets. M. Diop plaide en faveur d’une plus grande implication des cueilleurs lors de la fermeture de la décharge, déclarant : « Il y aura des pertes d’emplois. »
Le président Macky Sall a promis d’aider les ramasseurs d’ordures en juin. Cependant, Wade, le vétéran de la décharge, affirme que tout le monde est inquiet. « Nous ne savons pas ce que nous allons faire demain », admet-il.