Le Sénégal se prépare à devenir le premier pays africain à imiter l’approche chinoise consistant à déployer des serveurs et des centres de données locaux, dans le but de renforcer la souveraineté numérique du pays.
Le Sénégal a annoncé son intention de relocaliser toutes ses données gouvernementales et ses services numériques dans un nouveau centre de données national à la fin du mois de juin. La rénovation du centre coûtera 70 millions d’euros, qui seront payés grâce à un prêt du gouvernement chinois. Huawei, une société technologique chinoise, fournira l’assistance matérielle.
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement chinois se manifeste pour aider le Sénégal à financer des infrastructures numériques. La Chine contribue à soutenir les projets d’administration en ligne et d’infrastructure Smart Senegal du pays, ainsi que la mise en place d’un réseau national à large bande. En Afrique de l’Ouest, le gouvernement de la Côte d’Ivoire a signé un contrat en octobre 2020 qui permettra à Huawei de co-concevoir le plan national d’économie numérique du pays, baptisé « Côte d’Ivoire Numérique 2030 ». Huawei travaillera également avec le gouvernement ivoirien pour développer une stratégie haut débit.
Le gouvernement nigérian a interdit Twitter en juin après que la plateforme de médias sociaux a supprimé un message du compte du président nigérian Muhammadu Buhari. La Foundation for Investigative Journalism a ensuite rapporté que des responsables du gouvernement nigérian (dont le chef de cabinet de Buhari et le ministre de l’information et de la culture) avaient rencontré des représentants de l’administration chinoise du cyberespace pour discuter de la manière dont le « Grand Pare-feu » chinois pourrait être mis en œuvre au Nigeria.
Le Nigeria reproduit un modèle troublant en Afrique : lors des élections et des manifestations politiques de 2021, le Niger, la République du Congo, le Sénégal, l’Eswatini et l’Ouganda ont restreint les médias et coupé l’internet. En Eswatini, toutefois, une coalition de groupes de la société civile a intenté une action en justice contre l’opérateur de téléphonie mobile MTN afin de le contraindre à rétablir l’accès à l’internet.
Quelles mesures l’Occident a-t-il prises pour résister à l’influence de la Chine en Afrique ?
Les manœuvres de la Chine doivent être considérées à la lumière de son initiative « Route de la soie numérique », lancée en 2015. Celle-ci s’inscrit dans le cadre de l’initiative « Belt and Road », qui a été lancée en 2013 dans le but d’accroître les investissements internationaux dans les infrastructures. Le programme Digital Silk Road fournit des infrastructures numériques aux nations partenaires, telles que des réseaux cellulaires de nouvelle génération, des câbles en fibre optique et des centres de données.
Jusqu’à présent, le projet a bénéficié à l’Angola, à l’Éthiopie, au Nigeria, à la Zambie et au Zimbabwe, avec une valeur d’investissement estimée à 8,43 milliards de dollars. Sans surprise, selon une recherche de 2018 du Consortium pour les infrastructures en Afrique, la Chine était la deuxième plus grande source de financement des infrastructures du continent derrière les gouvernements africains, fournissant 25,7 milliards de dollars aux pays africains cette année-là.
Huawei est le principal acteur numérique du continent, la technologie de l’entreprise alimentant plus de 70 % de l’infrastructure 4G de l’Afrique. Les inquiétudes des États-Unis et de l’Europe, qui craignent que la technologie de Huawei soit utilisée à des fins d’espionnage contre leurs gouvernements et leurs populations, ne semblent pas être aussi sérieuses dans les pays africains. Lors d’une réunion sur l’économie numérique en 2019, le président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, a déclaré : « Nous soutenons une entreprise qui va conduire notre pays et même le monde entier vers une meilleure technologie, et c’est la 5G. » Nous ne pouvons pas nous permettre que notre économie soit entravée à cause de ce conflit entre les États-Unis et la Chine. »
Bien que Nokia et Ericsson soient des alternatives européennes possibles à Huawei en Afrique, leurs empreintes commerciales et opérationnelles sur le continent sont limitées.
Quelles mesures l’Occident a-t-il prises pour résister à l’influence de la Chine en Afrique ? Le G7 a annoncé en juin son programme « Build Back Better World », qui « créera un partenariat transparent en matière d’infrastructures pour aider les pays en développement à réduire les 40 000 milliards de dollars nécessaires d’ici 2035 ». Toutefois, le programme n’en est qu’à ses débuts, et son efficacité reste à établir.
La Société financière internationale pour le développement des États-Unis, qui soutiendrait les infrastructures TIC, a été décrite en décembre par le président de l’Eurasia Group comme une « agence de soft power… mais elle ne change pas la donne, surtout pas dans le contexte de Belt & Road ».
Au niveau multilatéral, l’UE et l’UA ont créé un groupe de travail sur l’économie numérique et publié un rapport contenant des suggestions de politiques sur la manière dont l’Afrique pourrait accélérer la croissance de son économie numérique. La Commission européenne a proposé de créer un fonds de connexion numérique pour aider à combler la fracture numérique en investissant dans les réseaux de connectivité internationaux. Toutefois, à part des rumeurs, cette collaboration n’a eu aucune conséquence réelle jusqu’à présent.